Le Canadien veut être plus exigeant et délaisser toute impression de sabordage

MONTREAL, QUEBEC - JULY 07: (L-R) Jeff Gorton and Kent Hughes of the Montreal Canadiens confer during Round One of the 2022 Upper Deck NHL Draft at Bell Centre on July 07, 2022 in Montreal, Quebec, Canada. (Photo by Bruce Bennett/Getty Images)
By Marc Antoine Godin
Apr 15, 2023

Lorsqu’il est descendu de la loge de l’état-major du Canadien, jeudi soir, au terme de la défaite de 5-4 face aux Bruins de Boston, le directeur général Kent Hughes était un homme soulagé. S’il avait gagné le match, le Canadien n’aurait joué les trouble-fête pour personne d’autre que lui-même, car une victoire aurait grandement amenuisé ses chances d’obtenir un choix top-5 au prochain repêchage.

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Mais en se dirigeant vers le vestiaire de l’équipe, Hughes s’est dit intérieurement que l’époque où il souhaitait que son équipe perde des matchs afin d’améliorer sa position au tirage au sort était révolue.

À compter de la saison prochaine, il n’y aurait plus cette dichotomie entre la direction et ses joueurs et entraîneurs. Tout le monde, jour après jour, aurait les mêmes ambitions à court et à long terme.

En vue de la saison 2022-23, aucune pression de résultats n’avait été placée sur l’équipe afin que le Canadien participe aux séries ou qu’il performe d’une quelconque manière. Après s’être assuré que le plaisir de jouer au hockey et de porter l’uniforme du Canadien était revenu – ce qui n’est pas rien – on avait planté du gazon et maintenant on allait l’arroser.

Et si regarder du gazon pousser pouvait s’avérer palpitant pour les amateurs, tant mieux. (PS. ça l’a été par moments.)

Le message envoyé aux partisans a été clair et, pour la première fois depuis Mathusalem, personne dans l’équipe n’a cherché à convaincre le public que le club était meilleur que ce qu’il pouvait aspirer à être. Oh, il y a bien Joel Edmundson qui, le jour du tournoi de golf, a dit que le Canadien surprendrait beaucoup de monde et qu’il se battrait pour une place en séries; mais le vétéran défenseur a expliqué vendredi qu’il avait parlé de la sorte parce que les joueurs ont toujours besoin de croire en leurs moyens, et que hisser le drapeau blanc avant même le début des hostilités aurait garanti l’absence de succès.

Lors du bilan de fin de saison du Canadien, ses patrons ont en quelque sorte aligné leur vision à la sienne, car le succès sera défini différemment à compter de la saison prochaine.

« On veut que les joueurs sachent que nos attentes changent, a annoncé Hughes. Je ne sais pas si on va faire les séries, mais on n’abordera pas la saison en disant que c’est perdu d’avance. On veut se battre pour essayer de participer aux séries. Si on n’y parvient pas, ce n’est pas grave. En autant qu’on voit un réel effort, qu’on voit des individus progresser et qu’on voit notre équipe avancer dans cette direction. Mais on ne va pas entamer la saison en disant qu’on est écartés d’emblée des séries éliminatoires. »

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Hughes et le vice-président exécutif aux opérations hockey, Jeff Gorton, ont manifestement vu des choses dans leur équipe cette année qui leur permettent d’annoncer ce pas en avant.

Dans les entrevues de fin de saison avec les joueurs, il a bien sûr été question des blessures. Des absences prolongées, mais aussi des nombreuses occasions que d’autres ont eu de se faire valoir. Si bien qu’une question populaire auprès d’eux a été de savoir s’ils s’étaient demandé de quoi l’équipe aurait été capable si tout le monde avait été en santé.

Par exemple, si l’on s’imagine le Canadien avec Cole Caufield, Juraj Slafkovsky, Sean Monahan, Kaiden Guhle, Mike Matheson, David Savard et Arber Xhekaj durant une saison complète. Si l’on y ajoute le rendement des Josh Anderson, Michael Pezzetta et Rafaël Harvey-Pinard en deuxième moitié de saison. Si l’on prend le Kirby Dach qui a éclos au centre et Samuel Montembeault devant le filet.

Bref, si tous les morceaux étaient tombés parfaitement en place.

Quand on fait un tri et qu’on met bout à bout ce qui a bien fonctionné pour chacun des joueurs à un moment ou un autre, il est évident que le Canadien est meilleur que le 28e rang du classement général.

Mais c’est aussi un exercice risqué, car il contient une part de pensée magique. Nous sommes tous capables de tels arrangements dans notre tête, de ce genre de portrait idyllique où tout s’aligne. Même si ce n’est jamais ce qui se produit vraiment.

On souhaite seulement que ce n’est pas la tentation à laquelle a succombé la direction du Canadien en décidant qu’il était temps d’embrayer et de faire passer l’équipe à l’étape suivante.

Heureusement, le ton de messieurs Gorton et Hughes était pondéré, vendredi. Si jamais la patience des partisans s’évapore l’an prochain, les deux hommes assurent qu’il ne se laisseront pas influencer à accélérer le processus et à trouver des raccourcis pour donner au Canadien une illusion de compétitivité. C’est tant mieux.

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« Mon impression est que les fans préféreraient qu’on continue de faire les choses de la bonne façon et qu’on construise quelque chose dont ils seront fiers », a indiqué Hughes.

Le changement d’attentes annoncé par Hughes n’est pas celui qu’on imaginerait a priori. Les attentes ne seront pas basées sur les victoires et les défaites autant que sur l’engagement réclamé de chaque joueur à tirer l’équipe vers le haut. Hughes a entre autres mentionné qu’il invitait les jeunes joueurs à ne pas se concentrer uniquement à tailler leur place dans la LNH, mais à s’approprier le succès de l’équipe en pensant simultanément à leur contribution au projet collectif.

Fixer de nouvelles cibles à l’intérieur d’une reconstruction est le genre de choses qu’on a vu ailleurs. Au début de la présente saison, par exemple, Steve Yzerman, avait lui aussi annoncé que les attentes envers ses Red Wings de Detroit seraient rehaussées pour 2022-23, sans qu’une place en séries éliminatoires soit pour autant mise dans la balance.

« Si on peut diminuer notre nombre de buts contre, nos tirs contre, nos chances contre, et améliorer nos unités spéciales, ça devrait se traduire en victoires. Mais même si ce n’est pas le cas cette saison, on sera sur la bonne voie », avait indiqué le DG.

En fin de compte, les Wings ne sont pas vraiment passés proches de participer aux séries, mais ils ont accordé 33 buts de moins que l’année dernière et le nombre de tirs accordés par match à l’adversaire a baissé de 32,1 à 30,4. D’une certaine façon, l’objectif a été rencontré, même si Yzerman n’est pas emballé outre mesure par le résultat des courses. Au moins, il avait la lucidité de voir avant la saison que son équipe n’était peut-être pas tout à fait prête à dépasser les formations plus aguerries de la section Atlantique.

Le Canadien est dans le même bateau. Au cours des prochaines années, il ne devra pas seulement réussir son redressement et devenir une très bonne équipe, il devra le réussir mieux que d’autres rivaux de l’Atlantique qui vivent une transformation semblable. Et quand on se tourne vers l’avenir, on pense forcément aux jeunes.

Or, s’il veut devenir un jour prétendant à la Coupe Stanley, le CH a-t-il suffisamment de jeunes joueurs et d’espoirs dans sa pépinière qui peuvent devenir de vrais joueurs d’impact au niveau de la LNH ? En a-t-il davantage que des rivaux de division comme les Red Wings ou les Sabres de Buffalo ?

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« C’est sûr que je vois que l’Atlantique va s’améliorer et que certaines équipes vont être très bonnes, on en est conscients, a dit Gorton. Mais vous savez, pour l’essentiel, on se concentre sur ce qu’on fait, en essayant de s’améliorer et de faire en sorte que certains gars vont faire des progrès l’année prochaine. C’est notre préoccupation. On ne peut pas faire grand-chose pour empêcher les autres équipes de s’améliorer et d’essayer de faire ce qu’elles font. On se concentre donc sur ce que nous on fait. »

Il faudra voir à quels rangs repêchera le Canadien cet été avec ses deux choix de première ronde, et s’il réussira à frapper un coup de circuit avec l’un de ses choix plus tardifs. Mais il est fort possible que le CH ait encore besoin de plus qu’une bonne cuvée de repêchage pour rassembler le talent de pointe qui lui sera nécessaire plus tard.

Cela suggère qu’au moins une autre année avec des résultats semblables à ceux de cette saison serait bienvenue. Sauf que…

« Voyons voir quel genre d’été on va avoir. Voyons voir si Kent peut faire de la magie et nous faire avancer », a lancé Gorton.

Cette pointe d’humour n’est pas anodine, car il est vrai qu’on ne peut pas juste contempler l’avenir à travers les banques de jeunes joueurs. Il y a d’autres manières de s’améliorer. Et l’été dernier, Hughes a été en mesure de mettre la main sur Dach, un centre de 21 ans qui est devenu en l’espace d’un an un membre du noyau dur pour l’avenir de l’équipe. Il est également allé chercher un choix de première ronde supplémentaire en acceptant de prendre le contrat de Monahan pour un an.

Le genre de gestes qui n’ont pas nécessité de sabordage.

C’est normal que la direction de l’équipe veuille avancer. On ne lui en voudra pas de ne pas vouloir patauger dans les bas-fonds éternellement. Mais ce faisant, le Canadien aurait intérêt à ce que son DG continue de tirer des lapins de son chapeau et trouve des façons alternatives de bonifier ce que le Canadien a déjà.

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En attendant, il y a un message à deux vitesses qui a été lancé vendredi : à l’interne, les exigences envers les joueurs seront rehaussées et la pression va augmenter afin que les résultats soient davantage au rendez-vous. Mais à l’externe, le Canadien espère que les attentes des amateurs demeurent plus ou moins là où elles l’ont été cette année et qu’ils continuent de faire preuve de patience.

Ce sera un drôle de ballet à exécuter.

(Photo de Jeff Gorton et Kent Hughes: Bruce Bennett/Getty Images)

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